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Le marché mondial des instruments de musique : facture, commerce et collections au XIXe siècle et dans le premier XXe siècle

Appel à communications : journée d'études organisée par Anaïs Fléchet (Paris-Saclay, CHCSC), Alexandre Girard-Muscagorry (Musée de la musique – Philharmonie de Paris), Ariane Théveniaud (Paris-Saclay, CHCSC), Thierry Maniguet (Musée de la musique – Philharmonie de Paris)

le 18 novembre 2024

18 novembre 2024
Philharmonie de Paris
Si les instruments de musique voyagent depuis l’antiquité, nourrissant l’évolution des pratiques et des esthétiques musicales sous diverses latitudes, les échanges s’accélèrent au XIXe siècle à la faveur de la révolution industrielle et de la colonisation européenne. L’essor des routes commerciales et le développement de la navigation à vapeur soutiennent la globalisation des marchés de matières premières utilisées dans la facture instrumentale, qui s’industrialisent et se massifient. Le commerce des instruments européens gagne de nouveaux marchés dans les Amériques dès le début du siècle, puis en Asie, en Afrique et en Océanie à la faveur de la poussée coloniale. Les ventes des pianos anglais et français explosent à l’international à partir des années 1830, générant d’importants bénéfices et soutenant la conception de modèles spécifiques, comme le « piano tropicalisé » de Pleyel. L’accordéon s’impose sur les marchés américains à la faveur des grandes vagues migratoires du tournant des XIXe et XXe siècles, mais aussi en Afrique, dans l’océan Indien et en Polynésie ; tandis que le saxophone conquiert l’Amérique.

Parallèlement, des instruments de musique présentés comme « exotiques » et « sauvages » enrichissent les collections européennes, qu’elles soient privées ou publiques, en particulier celles des musées instrumentaux qui, de Paris à Berlin, se créent à travers l’Europe. Exposés et réduits au silence, ces instruments le plus souvent acquis en contexte colonial ont aussi fait l’objet d’un processus d’artification précoce. Certains pénètrent sur le marché de l’art africain ou asiatique au prix souvent de lourdes modifications ; d’autres sont utilisés dans des décors d’opéras orientalistes, comme Lakmé donné à l’Opéra de Paris en 1883 ; d’autres encore intègrent les collections de facteurs et nourrissent leurs recherches – à l’image d’Adolphe Sax ou de Victor-Charles Mahillon. Outre leur dimension esthétique, les instruments servent un projet évolutionniste fondé sur une vision primitive des mondes non-européens et participent à la construction de cultures coloniales racialisées – dans les métropoles, dans les colonies et les dominions, mais aussi dans les nouveaux États indépendants des Amériques, où les puissances européennes déploient un impérialisme culturel.

Les instruments de musique se situent donc au carrefour de plusieurs marchés mondialisés sur lesquels l’Europe acquiert une position dominante au XIXe siècle : le marché des matériaux (bois précieux, ivoire, nacre, etc. pour la fabrication des instruments) ; le marché des objets dits « ethnographiques » acquis au terme d’un échange inégal ou sous la contrainte, en Afrique, dans les Amériques, en Asie ou en Océanie) ; le marché des biens manufacturés (instruments fabriqués en Europe, puis aux États-Unis, et exportés dans le reste du monde) ; le marché de l’art africain et asiatique ou des souvenirs touristiques.

Cette journée d’études entend explorer les diverses facettes du marché mondial des instruments de musique de la fin du XVIIIe siècle au premier XXe siècle. L’étude conjointe des marchés et des collections, qui connaissent un essor parallèle et se nourrissent mutuellement au cours de la période, vise à cartographier les flux d’instruments, les lieux et les acteurs de leur mise en circulation dans la perspective d’une histoire mondiale de la musique et des cultures matérielles. En amont, l’objectif est d’interroger la provenance des matériaux utilisés dans la fabrication des instruments. En aval, la réflexion portera sur les modalités d’acquisition en contexte colonial, mais aussi sur les stratégies commerciales des facteurs (européens ou non-européens répondant à une demande européenne), le rôle des Expositions universelles et coloniales, les usages sociaux des instruments et les représentations qui y sont associées.

Les données relatives à l’achat et à l’exportation, auxquelles les musicologues comme les historiens ont jusqu’alors prêté peu d’attention, éclairent d’un jour nouveau l’histoire des instruments de musique européens, jusqu’ici principalement envisagée du point de vue organologique, comme celle des collections de biens culturels non-européens, objet de travaux récents dans le cadre des recherches de provenance et des politiques de restitution. Mais il s’agit aussi de réfléchir aux dynamiques de la globalisation musicale avant même l’invention de l’enregistrement sonore. Au même titre que les artistes, les partitions ou les salles de concerts, les instruments de musique ont constitué de puissants vecteurs d’échanges culturels, tout en servant le projet colonial et la fabrique des ailleurs musicaux.

Les communications porteront notamment sur :
-    le marché des matériaux de la facture instrumentale : essor, trajectoires et évolutions en contexte colonial (bois précieux, ivoire, etc.)
-    les collections non-européennes des musées instrumentaux (origines, modalité d’acquisition, systèmes de classification, etc.)
-    les collections privées d’instruments de musique non-européens (notamment celle des musiciens, facteurs d’instruments, musicographes, etc.)
-    les instruments de musique dans les Expositions universelles
-    le marché de l’art et le processus d’artification des instruments de musique non-européens
-    l’exportation des instruments européens dans le reste du monde : stratégies commerciales des facteurs, types d’instruments, concurrence pour l’obtention des marchés (entre facteurs européens, puis entre facteurs américains, européens et asiatiques), etc.
-    les représentations et discours associés aux instruments venus d’ailleurs : symboles de civilisation et de statut social ou, inversement, de primitivité, reproduction de normes de genre, pourvoyeurs d’exotisme, etc.

Les propositions de communication (300 mots maximum), ainsi qu’un résumé abrégé (150 mots maximum) et une présentation de l’auteur(e) (150 mots maximum), doivent être soumis avant le 31 mars 2024 aux adresses suivantes : anais.flechet@uvsq.fr; agirard@cite-musique.fr ; atheveniaud@cite-musique.fr
 
Les langues de la journée d’études sont le français et l’anglais.
 
Informations complémentaires
Comité scientifique : Anaïs Fléchet (Paris-Saclay, CHCSC), Alexandre Girard-Muscagorry (Musée de la musique – Philharmonie de Paris), Giovanni Giurarti (Sapienza Università di Roma), Anne Lafont (Ecole des hautes études en sciences sociales, CRAL), Thierry Maniguet (Musée de la musique – Philharmonie de Paris), Marie-Pauline Martin (Musée de la musique – Philharmonie de Paris), Gabriele Rossi Rognoni (Royal College of Music), Léa Saint-Raymond (Ecole normale supérieure, PSL), Ariane Théveniaud (Paris-Saclay, CHCSC), Saskia Willaert (musée des Instruments de musique de Bruxelles)

Comité d’organisation : Anaïs Fléchet (Paris-Saclay, CHCSC), Alexandre Girard-Muscagorry (Musée de la musique – Philharmonie de Paris), Ariane Théveniaud (Paris-Saclay, CHCSC), Thierry Maniguet (Musée de la musique – Philharmonie de Paris)