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Fictions du complot (revue ELFe XX-XXI)

Appel à contributions de la revue annuelle de la Société d’Études de la Littérature de langue Française des XXe et XXIe siècles (ELFe XX-XXI), n°12, 2023.

« Fictions du complot »


Dir. Chloé Chaudet (Université Clermont Auvergne, CELIS)

et Ivanne Rialland (Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, CHCSC)


La fiction du complot prend son essor parallèlement à celui du roman et de l’État-nation, fondant un imaginaire sociopolitique de la modernité qui n’a ensuite cessé de se développer et de se reconfigurer. Au tournant du XIXe siècle se multiplient en Europe les figures fictives de comploteurs, qui ressurgiront à chaque période de crise. Au cours des XXe et XXIe siècles, les discours conspirationnistes prolifèrent de manière presque ininterrompue dans l’aire atlantique et au-delà. S’ils ont fait l’objet de diverses approches sociologiques, politologiques, historiques, médiatiques, rhétoriques ou anthropologiques, les fictions littéraires du complot sont pour l’heure abordées soit de façon très générale – dans le cadre d’approches panoramiques relevant des études culturelles, par exemple – soit de manière circonscrite, par l’analyse philologique des œuvres d’un seul auteur ou d’une seule autrice. En proposant une étude collective inédite des fictions du complot des xxe et xxie siècles, attentive autant au macro- qu’au microtexte, ce numéro de la revue ELFe XX-XXI entend contribuer à combler une lacune au sein des études littéraires de langue française.

Depuis le XIXe siècle, le complot exerce une fascination indéniable sur les écrivain·e·s de langue française, dans la lignée de Balzac, Dumas, Sand ou Sue. Au-delà de la diversification progressive des contextes sociopolitiques dont participent les fictions du complot, une évolution thématique est notable : l’inscription des fictions du complot ultra-contemporaines dans une réflexion explicite sur les pouvoirs du faux – dans l’ensemble moins répandue au XXe siècle, et plus rare encore au XIXe siècle, au sein du corpus concerné. Ce phénomène n’empêche pas de constater, d’une période à l’autre, la continuité de deux grands thèmes politiques : la rébellion et la religion sont régulièrement intégrées aux motifs des comploteurs. Une telle permanence incite entre autres à questionner la survivance de « grands récits » complotistes explicatifs dont notre postmodernité n’aurait pas tout à fait signé la fin.

De la fausse conspiration visant le Pape dans les Caves du Vatican (1914) de Gide aux manigances intergouvernementales, en partie anti-insurrectionnelles, faisant l’objet du Grand Secret (1973) de Barjavel, ou à la résistance oisive narrée par l’écrivain égyptien Albert Cossery dans Un complot de saltimbanques (1975), en passant par les actions révolutionnaires auxquelles aspirent les protagonistes de La Conspiration (1938) de Nizan, sans oublier les complots extra-européens qui émaillent les pages de la série OSS 117 (1949-) – l’un des plus célèbres avatars français de la littérature d’espionnage, le complot semble n’avoir jamais cessé de se couler dans différents styles et registres. Que les personnages actuels revendiquent des visées bienveillantes (Antoine Bello, trilogie des Falsificateurs), vengeresses (Chloé Delaume, Les Sorcières de la République) ou répressives (In Koli Jean Bofane, Mathématiques congolaises), l’ambiguïté des conspirateurs continue de rejouer au xxie siècle l’ambivalence constitutive des fictions du complot, qui se décline à plusieurs niveaux :

- l’alternance, d’une œuvre à l’autre ou au sein d’une même fiction, de complots « par le bas » d’une part, faisant intervenir des figures de marginaux, résistants, anarchistes ou terroristes, et de machinations des élites d’autre part, qui encouragent notamment à questionner les similitudes entre comploteurs et espions ;

- la conjugaison d’une volonté plus ou moins explicite de « réenchantement du monde », consécutive au recul des pratiques religieuses dans la sphère occidentale, et d’un geste critique, visant essentiellement à dénoncer un état de la société jugé inacceptable ;

- la cohabitation d’œuvres démonstratives, rejoignant parfois le roman à thèse, et d’écritures fantaisistes ou humoristiques, qui peuvent mener à une déconstruction de l’imaginaire complotiste que les premières tendent au contraire à cultiver.

Dans tous les cas, ces fictions ont pour point commun de figurer des desseins secrets, concertés entre plusieurs personnages, et s’inscrivant dans une volonté de domination – fût-ce sous la forme d’un contre-pouvoir. Les cibles des conspirateurs sont variées : un ou plusieurs personnages, souvent publics, mais aussi des gouvernements et institutions, ou encore des sociétés et populations plus étendues. Si cette définition minimale du complot incite à ne pas négliger la dimension politique du corpus concerné, elle engage aussi à tracer une ligne de partage entre ce qui relève du secret d’État, de la rumeur ou des fake news, et du complot en tant que tel.

Par ailleurs, ce type d’œuvres invite tout particulièrement à développer une réflexion métafictionnelle et herméneutique : leur étude est susceptible de nous éclairer sur les modalités et les enjeux de la création fictionnelle – qui, à l’instar des « théories du complot » définissant notre (post-)modernité, façonne une cohérence imaginaire à partir de références éparpillées à une réalité sociopolitique.

Les pistes suivantes pourront être envisagées :

- Qui sont au juste les comploteurs au sein des littératures de langue française des XXe et XXIe siècles ? En quoi leurs associations et leurs ambitions se sont-elles internationalisées au cours du xxe siècle ? Comment se manifeste aujourd’hui le complot en littérature, dans un espace mondialisé ?

- Dans quelle mesure les dynamiques narratives de dévoilement allant de pair avec les figures du complot ont-elles évolué, conjointement à la perte de rayonnement, au xxe siècle, du roman-feuilleton et à l’essor récent des séries télévisées ? Empruntent-elles également au récit et à l’image cinématographiques ?

- En quoi l’étude de la fiction du complot permet-elle d’articuler le complot et l’intrigue, que l’anglais désigne par un seul et même terme (plot) ? Toute fiction du complot n’est-elle pas dans une certaine mesure un objet métanarratif ?

- Comment prendre en compte les liens entre fictions du complot et « théories du complot » ? Quels outils peuvent fournir les études littéraires pour analyser cette forme de storytelling de plus en plus répandue ?

Précisions quant au corpus :

Le numéro se focalisera sur les littératures de langue française des XXe et XXIe siècles, mais n’exclura pas les approches comparatistes et/ou intermédiales étudiant à titre principal un corpus littéraire en langue française.

On pourra également accepter des études s’inscrivant dans une perspective transhistorique, à condition qu’elles restent centrées sur la période concernée par ELFe XX-XXI.
 
Modalités de soumission des propositions de contribution et calendrier général :

Les projets d’articles d’une page maximum (taille de police : 12) devront être envoyés à Chloé Chaudet (chloe.chaudet@uca.fr) et Ivanne Rialland (ivanne.rialland@uvsq.fr) accompagnés d’une brève notice bio-bibliographique avant le 20 mars 2022.

L’acceptation ou le refus sera indiqué.e aux auteur.e.s mi-avril 2022, accompagné.e, le cas échéant, des consignes de présentation des textes (d’une longueur comprise entre 25 000 et 40 000 signes espaces incluses).

Les articles seront à envoyer à Chloé Chaudet et Ivanne Rialland avant le 15 octobre 2022. Ils seront évalués en double aveugle par le comité de lecture de la revue.

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Éléments de bibliographie :

Aude Nicolas ; Tilliette Marie-Agathe (dir.), L’Imaginaire des sociétés secrètes dans la littérature du XIXe siècle, actes de la journée d’étude organisée dans le cadre de la Société des Études Romantiques et Dix-neuviémistes / SERD (Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, 28 février 2020), serd.hypotheses.org, mai 2021 (en ligne), URL : https://serd.hypotheses.org/8154

Boltanski Luc, Énigmes et complots. Une enquête à propos d’enquêtes, Paris, Gallimard, 2012.

Berger Peter L., The Desecularization of the World: Resurgent Religion and World Politics, Grand Rapids, Eerdmans, 1999.

Butter Michael ; Knight Peter, dir., Routledge Handbook of Conspiracy Theories, Londres, Routledge, 2020.

Chaudet Chloé, « Migrations des fictions du complot (xixe-xxie siècles). De la mondialisation d’un imaginaire de la paranoïa », in Pierre-Yves Boissau, Claire Gheerardyn, Delphine Rumeau et al., dir., Migrations des genres et des formes littéraires et artistiques, SFLGC.org, 2018 (en ligne), URL : http://sflgc.org/acte/chaudet-chloe-migrations-des-fictions-du-complot-xixe-xxie-siecles-de-la-mondialisation-dun-imaginaire-de-la-paranoia/

Chelebourg Christian ; Faivre Antoine, dir., Secrets, complots, conspirations, Paris, Le Visage Vert, coll. « Les colloques Cerisy », 2022.

Danblon Emmanuelle ; Nicolas Loïc, dir., Les Rhétoriques de la conspiration, Paris, CNRS Éditions, 2010.

Girardet Raoul, Mythes et mythologies politiques, Paris, Le Seuil, 1986.

Hofstadter Richard, « The Paranoid Style in American Politics » [1964], in The Paranoid Style in American Politics and Other Essays, New York, Vintage Books, 1996.

Jameson Fredric, La Totalité comme complot. Conspiration et paranoïa dans l’imaginaire contemporain, trad. Nicolas Vieillescazes, Paris, Les Prairies ordinaires, 2007.

Ledoux Aurélie ; Leichter-Flack Frédérique ; Zard Philippe, dir., Raison publique, n°16 – « Complot et terreur », Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012.

Ledoux Aurélie, « Doute conspirationniste et regard critique », Esprit, novembre 2015, p. 8-17.

Marcus George, dir., Paranoia Within Reason. A Casebook on Conspiracies Explanation, Chicago, University of Chicago Press, 1999.

Peltier Marie, L’Ère du complotisme. La maladie d’une société fracturée, Paris, Les petits matins, 2016.

Roberts John Morris, The Mythology of Secret Societies, Londres, Secker and Warburg, 1972.

Simmel Georg, « Secret et sociétés secrètes », in Sociologie. Études sur les formes de la socialisation [1905-1906], trad. Sibylle Müller, Paris, Presses universitaires de France, 2010, p. 347-405.

Taguieff Pierre-André, La Foire aux « Illuminés ». Ésotérisme, théorie du complot, extrémisme, Paris, Mille et une nuits, 2005.

Ziolkowski Theodore, Cults and Conspiracies. A Literary History, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2017.

 
Informations complémentaires
Revue annuelle de la Société d'Études de la Littérature Française des XXe et XXIe siècles, ELFe XX-XXI veut penser les continuités et les ruptures de la littérature du siècle passé et réfléchir sur la littérature contemporaine et le rôle que doit tenir la critique savante dans sa légitimation.