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Retour sur la JE "L'âge d'or. Médias, mémoires, nostalgies"

Retour sur la Journée d'études co-organisée par le French Media Research Group (Newcastle University), le CHCSC (Université Versailles Saint-Quentin en Yvelines) et le GRIPIC (Celsa Paris-Sorbonne) du 12 septembre 2014 à la Maison de la Recherche de l'Université Paris-Sorbonne

le 19 décembre 2014

12 septembre 2014
Le 12 septembre 2014 s’est tenue la journée d’étude "L’âge d’or. Médias, mémoires et nostalgie" à la Maison de la Recherche de l’Université Paris-Sorbonne, co-organisée par deux laboratoires, le CHCSC et le GRIPIC, et par le French Media Research Group. Cette journée a réuni historiens et chercheurs en sciences de l’information de la communication autour d’une réflexion sur la notion d’âge d’or dans et par les médias. Se situant dans le sillon fécond des études sur les relations entre mémoires et médias et sur la place qu’y occupe le sentiment nostalgique, cette journée proposait de réfléchir à la notion encore peu étudiée de l’âge d’or. L’initiative visant à une approche interdisciplinaire a été saluée par les directeurs Jean-Claude Yon et Adeline Wrona, en ouverture de la journée.

La conférence introductive d’Isabelle Veyrat-Masson proposa un retour sur les mythes de l’âge d’or. La première session de la journée comprenait deux communications autour des mythes modernes de l’âge d’or avec deux exemples : la Belle Epoque et les Trente Glorieuses. Cette session invitait à revenir sur le processus de constitution de ces deux "chrononymes" à travers des supports médiatiques différents, le cinéma et les manuels scolaires. La seconde session fut consacrée aux processus de sélection du passé qui interviennent dans la construction des récits des âges d’or. Trois interventions prenant pour objet le cinéma, la télévision et la presse ont étudié des récits nostalgiques et la mise en scène du passé. En début d’après-midi, la troisième session a réuni trois communications autour des pratiques et objets médiatiques supports de l’âge d’or : la collection d’affiches imprimées du XIXe siècle, la naissance et l’épanouissement de la radiodiffusion américaine et les premières décennies de la télévision française. La dernière session de la journée explora l’âge d’or de productions culturelles spécifiques et leur constitution par les médias : celui du punk-rock dans la presse spécialisée et celui de la bande dessinée en France et aux Etats-Unis.

Le mythe de l’âge d’or s’impose, au vu des exemples évoqués, par la répétition de ses arguments, par la qualité ou le nombre de ses promoteurs, et par son institutionnalisation par les grands médias.
Le processus de sélection (conscient ou non) s’est révélé central. Isabelle Veyrat-Masson a d’ailleurs souligné les ressemblances entre la mémoire et la télévision : la télévision est sélective et son discours est subjectif, elle déconstruit la chronologie, le souvenir et le témoin s’y imposent, enfin elle commémore et sanctifie. Ce média est aussi, a-t-elle rappelé, un acteur dans les guerre de mémoire, elle les alimente, les modifie, les fait émerger.
La répétition et le stéréotype, évoqués en ouverture de la journée, se sont révélés des moyens d’enraciner le mythe dans le temps. Virginie Vignon s’est interrogée sur l’engouement pour l’affiche illustrée de Jules Chéret et sa transformation en symbole. La chercheuse a en particulier étudié les phénomènes d’échos entre critiques d’art et collectionneurs (les poncifs se répétant déjà du vivant de l’artiste) qui ont contribué à former une communauté mémorielle autour du travail de l’affichiste. Il était aussi question de répétition dans les récits autobiographiques livrés par Jean Cocteau, étudiés par Audrey Garcia, qui réutilisait les mêmes anecdotes dans sa série de "portraits-souvenirs" (parue dans Le Figaro dans les années 1930) et dans l’entretien télévisuel réalisés à la fin de sa vie la télévision.
La journée a rendu compte de la capacité de légitimation des mythes qu’ont acquise les médias. Luc Robène et Solveig Serre ont présenté la presse spécialisée comme un lieu où travaille la mémoire. Dans leur communication sur l’âge d’or du punk vu par la presse magazine, ils ont identifié les opérateurs de mémoire (les contenus, les discours et l’esthétique) qui installent le mythe de l’âge d’or du punk. Jean-Paul Gabilliet a proposé quant à lui une étude comparative de l’âge d’or de la bande dessinée en France et du Golden age of comics aux Etats-Unis, appréhendée par les critiques dans les revues puis la pratique des collections. L’institutionnalisation de l’âge d’or fut également particulièrement perceptible dans l’exemple donné par Rémy Pawin, qui a montré comment l’imaginaire des Trente Glorieuses s’est installé dans les manuels scolaires jusqu’à incarner tout l’après-guerre français.
L’âge d’or est un discours dominant, qui a aussi ses détracteurs, affirme I. Veyrat-Masson. L’enracinement de ces mythes profite de l’absence de critique à leur encontre. L’âge d’or n’est presque pas remis en question, tout au plus il est discuté (sur sa délimitation temporelle, rarement sur le fondement de son identité en tant que période). R. Pawin note une faible place à la nuance dans les manuels sur les Trente Glorieuses, constituées en période mythique de prospérité économique avant tout.

La notion de périodisation est revenue à plusieurs reprises, d’abord en ouverture avec l’exemple de deux chrononymes. Tout en caractérisant des périodes, ces mythes s’appuient sur des discours qui distordent les réalités historiques, voire la conception temporelle. Adrien Genoudet, a travers l’étude du fonds cinématographique Albert Kahn, a démontré que les réalisateurs et monteurs de cinéma ont calqué une imagerie des Années Folles sur leur relecture de la Belle Epoque en insistant sur la liesse populaire et le bonheur. Jean-Charles Geslot quant à lui a étudié la constitution du Second Empire (période pourtant longtemps marquée par une "légende noire") comme âge d’or en prenant l’exemple des films Nana de Renoir et Si Paris m’était conté de Guitry. Ces deux films distordent la temporalité et recourent à l’anachronisme pour donner une image mythique du Second Empire. J-Ch. Geslot parle d’une "agedorisation" du Second Empire par les cinéastes, Renoir projetant une ambiance de Belle Epoque et Guitry cherchant à essentialiser la période en mettant en exergue ses traits de stabilité et de prospérité. Enfin, à travers les éditions successives de manuels scolaires, R. Pawin a examiné les choix de documents et les simplifications historiques qui orientent la lecture de l’époque 1945-1975 et en fixent les bornes chronologiques sans s’embarrasser de nuances. Quant à la presse rock, la référence à la période 1976-1978 y est permanente, figurant un passé indépassable conduisant à une héroïsation et une panthéonisation des figures du punk.
De plus, l’expression "âge d’or" apparaît comme une coloration d’une époque, comme le font les chrononymes. A. Genoudet, qui étudie l’écriture visuelle de la Belle Epoque, considère que le visuel joue un rôle de premier plan dans l’expérience du temps et dans le rapport au passé. L’appellation "Belle Epoque" qualifie et colore, donnant une "identité temporelle" à la période. Il a également été question de cet aspect dans la présentation d’Audrey Orillard : celle-ci a proposé un exposé sur la rediffusion dans les années 1980 des scopitones de chansons yéyé, témoins en couleurs des années 1960 qui donnent à voir l’image rassurante d’une jeunesse libre et épanouie.

La journée était centrée sur les médias en tant qu’acteurs, producteurs et passeurs des discours sur l’âge d’or ; toutefois transparaissait dans les propos la question du public et de son adhésion (fabriquée ou consentie). L’exposé de Sandrine Khoudja a été consacré à une période de l’histoire de la radio américaine circonscrite entre 1920 et 1950 et qualifiée de "the old time radio". Le mythe a "pris" avec l’adhésion immédiate du public parce que les contemporains ont eu conscience de vivre un moment important de l’histoire et du développement de ce média, décrit comme une révolution sociale et culturelle. La période a été ensuite idéalisée par les témoignages, et aussi du fait d’une muséification précoce des artefacts radiophoniques par les stations elles-mêmes.
Les rapports entre le sentiment nostalgique personnel et le mythe d’âge d’or, plus large et partagé, ont été révélés au cours de la journée. A. Garcia, dans son exposé sur les récits autobiographiques de Jean Cocteau, a montré qu’il se présente comme un "passeur de mémoire", il décrit des époques tout en se racontant par le biais d’anecdotes et de souvenirs. Livrant un récit lissé de sa vie, Cocteau veut s’imposer comme un témoin emblématique et comme le poète du XXe siècle. Géraldine Poels, quant à elle, a identifié deux types de discours sur l’âge d’or de la télévision qui font intervenir différemment le sentiment nostalgique. Une première forme a existé de 1975 à 1987 : il s’agit du temps du discours militant sur l’esprit pionnier et l’idéal de service public, d’un âge d’or vu par l’information, la culture et les grandes émissions. Le seconde type développe un âge d’or nostalgique, sur le principe de l’album de famille, autour d’"émissions madeleine", et admet les programmes de divertissement, sans formuler de critique sur la télévision du présent. Les rediffusions de scopitones étudiés par A. Orillard s’inscrivent dans le même contexte, à savoir une vague nostalgique pour les années 1960 et la constitution de l’émission nostalgique comme un genre à part entière à la télévision à partir des années 1980. Ainsi, la question générationnelle affleure. Le mythe de l’âge d’or pourrait être un moyen de transmettre une vision du passé aux générations suivantes, donnant aussi la possibilité d’être nostalgique d’un temps qui n’a pas été expérimenté personnellement.

I. Veyrat-Masson identifie l’âge d’or comme un sentiment collectif mouvant, alimenté par l’idée d’un temps présent en déclin. Ceci est perceptible dans les récits touchant à des productions culturelles (l’affiche, le punk, la bande dessinée). R. Pawin également a conclu que les manuels préparent les élèvent au récit décliniste et les aide à accepter l’antienne de la réforme. Les médias se font aussi les conteurs de leur propre histoire, et ses professionnels contribuent grandement aux mythes. G. Poels et I. Veyrat-Masson ont rappelé que l’histoire de la télévision française est fortement marquée par la nostalgie. Les discours et souvenirs de ses acteurs (réalisateurs et directeurs "historiques") ont entretenu un mythe de l’âge d’or et du temps béni des débuts de la télévision – mythe qu’une part de la bibliographie sur l’histoire de la télévision a depuis repris. L’idée de déclin de la télévision fait partie intégrante du discours de ces professionnels.
Même si cette journée a volontairement écarté la réflexion sur l’oubli, les questionnements fréquents sur les processus de sélection dans la mythification y faisaient écho. Katharina Niemeyer avait été invitée à prononcer les propos de conclusion de cette journée. Opérant la synthèse des interventions, elle a identifié des thématiques pour approfondir l’étude du concept d’âge d’or comme la trace, l’archive, la sélection, la reconstitution, la généalogie, la circulation et, donc, l’oubli. Elle s’est ainsi demandée si l’âge d’or ne pouvait pas amener une amnésie sociale. Enfin, la chercheuse a également souligné la prégnance de la question du retour dans l’ensemble des interventions, renvoyant à l’origine du terme "nostalgie". Les discours récents lui font toutefois se demander si la nostalgie n’est pas en train de se muer en processus et en force plutôt qu’en symptôme, dont il faudra interroger les motivations et les objectifs.

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Thibault Le Hégarat :